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Après le catholicisme, quoi ?

Comment meurt une religion ? Et qu’est-ce qui vient après elle ?


Un des principes pouvant expliquer la disparition d’une religion, processus complexe et multifactoriel, réside dans l’installation d’un nouveau mouvement qui tient progressivement lieu de pôle religieux de référence.

Formulée par l’historien Vincent Mahieu (École pratique des hautes études), cette réponse à une question devenue d’actualité après le rapport Sauvé s’appuie sur des exemples détaillés dans le livre d’Anne Morelli et Jeffrey Tyssens Quand une religion se termine, (EME éditions) : après la disparition des religions de Mésopotamie, se sont installées les religions égyptiennes ; après les religions égyptiennes, le judaïsme ; après le culte de Mithra en Asie et en Italie, après les religions aztèques en Amérique, le christianisme, après le christianisme en Afrique du Nord, l’islam. Le nouveau mouvement qui prend la place de l’ancien – pas toujours durable – n’est pas forcément une religion : ainsi, le communisme après l’orthodoxie russe, ou le fascisme après le christianisme italien. Le nouveau mouvement tient lieu de l’ancien, en instaurant un nouveau récit, un nouveau catéchisme, de nouveaux dogmes, une nouvelle eschatologie, de nouveaux prêtres.


Ce processus de substitution, complexe et multifactoriel, s’effectue de manière progressive. Dans l’histoire, on ne connaît pas de cas de mort subite d’une religion. Il n’y a donc pas lieu de pronostiquer que le système romain dit catholicisme périclite du jour au lendemain, après le séisme provoqué par le rapport de la CIASE (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église), quand bien même tous les observateurs, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’institution romaine, évoquent un désastre, un tsunami, une faillite religieuse, morale et matérielle, sidérés par les crimes de masse commis au sein du système depuis 1950, avec deux chiffres colossaux : 216 000 mineurs abusés par au moins 3 000 prêtres.


Dans La Fin de la chrétienté (Cerf), Chantal Delsol constate d’ailleurs que la chrétienté se bat pour ne pas mourir depuis déjà deux siècles, en un combat à mort que la philosophe juge perdu d’avance et dans lequel, à la manière des soldats de Waterloo, les dirigeants catholiques déploient une énergie incroyable, quitte à s’extrémiser de plus en plus, se sachant condamnés par l’histoire.


Faisant son mea culpa, le président de la Conférence des évêques de France, Éric de Moulins-Beaufort, prononce lui-même le terme de scandales à propos de la pédocriminalité ecclésiastique, reprenant le titre d’un livre que nous avions publié en 2018 et qui m’avait alors valu d’être viré par l’Institut catholique de Paris (Scandales, les défis de l’Église catholique, Empreinte temps présent). Les scandales pédophiles ne vont ni entraîner la démission collective des évêques, comme le réclament des pétitions, ni l’arrêt immédiat d’un système reconnu coupable par ses dirigeants eux-mêmes.



Au demeurant, les bacchanales du Vatican, avec la dénonciation des réseaux gays orgiaques à tous les étages, dénoncés par Sodomia, Enquête au cœur du Vatican, Robert Laffont, n’ont suscité aucune réaction du pape ni provoqué le moindre changement. Le rapport de la CIASE occupe le devant de la scène, mais il ne faudrait pas qu’il occulte les niveaux plus profonds de la crise traversée par le catholicisme.

Il arrive que des événements accélèrent le cours de l’histoire des religions. A la fin du IVe siècle, de nombreux sanctuaires de Mithra avaient été dévastés par des fanatiques chrétiens pour hâter l’élimination du mithraïsme ; la révélation de la pédocriminalité ecclésiastique au début du XXIe siècle aura sans doute le même effet d’accélérateur de l’histoire. Impossible, dès lors, d’échapper à la question qui nous est aujourd’hui posée : après le catholicisme, quoi ?


Le théologien mainstream Christoph Theobald propose une réponse en exprimant dans Le Courage de penser l’avenir (Cerf)


la crainte de la disparition du catholicisme en France face à un islam qui s’affirme.

Méfions-nous cependant de la théorie dite du grand remplacement appliquée aux religions. De même, l’idée selon laquelle la fin du catholicisme entraînerait un vide, un nihilisme et un retour à la barbarie, cette menace brandie par Rome contre le modernisme depuis le XIXe siècle, est démentie par les événements : nous voyons aujourd’hui que le vide laissé par le catholicisme est comblé par de multiples paganismes et panthéismes.





La morale n’a nullement disparu, tout au contraire : un paganisme de la terre se répand, un cosmothéisme, avec son catéchisme de la Terre-mère, une Gaïa déesse païenne, une eschatologie focalisée non plus dans le temps, mais dans l’espace, avec sa liturgie, ses gourous, ses ayatollahs, comme on dit maintenant. De nouveaux horizons de croyance se profilent, avec la remise en question de la frontière entre l’homme et le règne animal, le transhumanisme ou le dataïsme.


En nos temps post-modernes, nous assistons aussi au grand retour d’Épicure et du stoïcisme, avec l’essor d’une nouvelle morale que décrit bien Chantal Delsol :


l’inversion des mœurs dessine des sociétés différentes, et le passé, même récent, est devenu un pays étranger.

Libération de l’avortement, contraception, mariage gay, euthanasie représentent autant de marqueurs de ce changement de paradigme. Nous vivons non une époque de changements, mais un changement d’époque.


Dans le passé, l’Église a réagi aux crises en convoquant des conciles : Nicée (325) face à l’arianisme, Constance (1414) face au Grand Schisme, Trente (1542) face à la Réforme, Vatican I (1870), face au modernisme. Cette fois, le pape Bergoglio s’en garde, il se contente d’un synode. Restaurée en 1965, la synodalité est purement consultative, elle dépend du pape souverain auquel revient le dernier mot. Le pontife décidera ce qu’il voudra, comme il le voudra bien.


Mais pour l’heure, nous voyons déjà ce qui va advenir après le catholicisme, en dehors du carcan des religions. Dietrich Bonhoeffer l’a annoncé avec le Christentum religionsloses, le christianisme hors-religion, puisé à sa source, libéré des paganismes grecs, des systèmes scolastiques et de la vieille rouille ecclésiastique. Le théologien catholique Joseph Moingt s’y retrouve :


Sans doute sommes-nous arrivés au temps où Dieu se révèle en esprit et en vérité, dépouillé des phantasmes dont nous le revêtons, des pratiques et des formulations imposées par la religion

(L’Esprit du christianisme, Temps présent). Il n’est pas sûr que Jésus perde au change !



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