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Photo du rédacteurDamien GUILLAUME

Salut, Rachel Held Evans (1981-2019) #YouKnowMe

Dernière mise à jour : 5 juin 2019


Photographie publiée sur le WashigtonPost avec l'autorisation de Rachel Held Evans

Rachel Held Evans, la plus influente des écrivains défiant gaiement l'establishment évangélique américain, est morte à 37 ans le 4 mai dernier. Elle avait affronté toutes les questions controversées de la culture évangélique américaine. Écrit sur le littéralisme biblique, le racisme, l'avortement (Voir la traduction en fin d'article)**, l'évolution, la théologie, le mariage, le patriarcat, le leadership féminin et le soutien «évangélique» de Donald Trump. Les témoignages de reconnaissance proviennent du monde religieux dans toute sa diversité. Ils évoquent l’humour, l’intelligence et la générosité d’une femme de valeur. La traduction de l’un de ses plus beaux textes est un cadeau : «Chers pasteurs, dites-nous la vérité». Le travail de Rachel Evans a non seulement encouragé d’autres femmes, issues de tout le spectre théologique, à publier des billets de blog, à enseigner et à écrire des livres, mais il leur a aussi inspiré de continuer d’étudier la théologie, de prêcher et de diriger les églises.

Son mari, Dan Evans, ses amis, Sarah Bessey, son éditrice, et Nadia Bolz-Weber, son amie pasteure luthérienne, ont présidé dans sa chambre d’hôpital au rite liturgique d’onction d’huile, avec ses proches et sa famille, le vendredi soir.


«Nous avons pu lui offrir notre toucher physique, nos larmes et nos chants. Elle était et elle reste aimée» (@Nadia Bolz-Weber). Rachel est décédée très tôt le samedi matin. «Elle faisait passer les autres avant elle-même», a écrit son mari dans un courrier électronique samedi.


«Elle partageait l’espace de sa plate-forme sur internet. Elle se rappelait toujours de quelle manière les autres l'avaient aidée. Elle aimait rencontrer les personnes dans des contextes où elles s’épanouissaient. Elle n’avait pas de rancune, elle oubliait et pardonnait volontiers. Elle avait peu de temps pour la petitesse et un grand cœur pour les gens. Ce sont toutes ces choses que j’aurais aimé lui dire encore lorsque j’avais le privilège de lui tenir compagnie.»


Crédits inconnus

Rachel Evans était l’une des voix les plus puissantes et les plus convaincantes de l'évangélisme progressiste américain, en tant que blogueuse, puis en tant qu’auteure de best-sellers et conférencière. Elle avait lancé son site dix ans plus tôt et, au cours de ses années d'écriture, avait notamment questionné les positions de la droite religieuse – plaidant, entre autres, en faveur de l'inclusion complète et de l’accueil radical des personnes LGBTQ dans l'église. Mais elle a pu aussi analyser ses propres préjugés raciaux et inconscients, après la fusillade de Michael Brown par la police à Ferguson, dans le Missouri. Le Washington Post l'appelait alors «la femme qui polarise l'évangélisme plus que personne». Evans, à seulement 37 ans, avait fait plus pour annoncer l'amour incroyablement expansif de Dieu, que la plupart ne le feront dans toute une vie.

Les polémiques politiques et culturelles d’Evans ont retenu l’attention. Mais elle écrivait aussi, avec le même talent, sur sa propre foi en évolution, sa vie de prière, sa lutte avec le doute et son amour pour l'église. «Quiconque a aimé la Bible autant que moi, puis l'a perdue et retrouvée, sait à quel point une relation avec la Bible peut être aussi réelle et aussi compliquée qu'une relation avec un membre de sa famille ou un ami proche», écrivait-elle dans son récent ouvrage, Inspired: Slaying Giants, Walking on Water, and Loving the Bible Again.


«Chers pasteurs, dites-nous la vérité», publié sur son blog, est un exemple de son style de sérieux, d’honnêteté et d’humour, et au fond, un joyeux appel prophétique et une prière offerte:


«Chers pasteurs, Dites-nous la vérité. Dites-nous la vérité lorsque vous n’avez pas de réponses à vos questions, et votre humilité nous montrera l’exemple lorsque nous les chercherons ensemble. Dites-nous la vérité sur vos doutes, et nous nous sentirons en sécurité lorsque nous partagerons les nôtres. Dites-nous la vérité lorsque vous vous sentez fatigués, lorsque le joug devient trop lourd à porter et l’obstacle trop difficile à surmonter, et nous apprendrons à porter les fardeaux les uns des autres parce que nous aurons commencé par le vôtre. Dites-nous la vérité lorsque vous êtes triste, et nous arrêterons de faire semblant. Dites-nous la vérité lorsque vos recherches vous conduisent à découvrir des idées nouvelles qui étirent notre foi mais nous déstabilisent, et ceux d'entre nous restés dans les parages n'oublierons jamais que vous nous avez fait assez confiance pour nous offrir ces défis à relever. Dites-nous la vérité lorsque votre position est sujette à controverse, et nous apprendrons avec vous à devenir plus courageux. Dites-nous la vérité lorsque vous avez besoin de consacrer plus de temps à votre mariage, et nous nous souviendrons de donner du temps et la priorité au nôtre aussi. Dites-nous la vérité lorsque vous pensez échouer et nous cesserons d'attendre la perfection. Dites-nous la vérité lorsque vous pensez que nos vieilles manières de faire les choses doivent changer et même si nous l’évitons, la conversation nous obligera à examiner pourquoi nous le faisons, et cela nous inspirera quelque chose d’encore bien plus grand, peut-être. Dites-nous la vérité lorsque vous vous sentez trop petits, et nous laisserons tomber nos toises. Dites-nous la vérité lorsqu’il ne reste que l’espoir et que nous commençons à en avoir besoin. Dites-nous la vérité lorsque le monde a besoin de la grâce radicale et nous la générerons. Dites-nous la vérité, même si elle est surprenante, décevante, douloureuse, joyeuse, inattendue, non planifiée et non résolue, et nous apprendrons ce que veut dire d’être un peuple qui a la foi. Dites-nous la vérité et vous ne serez plus jamais seuls à être libres. Avec tout notre amour, L’église»

En 2014, Rachel Evans a quitté l'évangélisme, fatiguée de devoir «donner de la voix et d’appeler sans cesse à arrêter la guerre sur des questions culturelles parmi les évangéliques». Elle fréquentait l’église épiscopale saint Luc à Cleveland, Tennessee, en famille. Mais elle est restée largement lue dans les cercles évangéliques et parmi les chrétiens, notamment celles et ceux les ayant quittées, mais se sentant toujours liés à ce courant d’églises, d'une manière ou d'une autre. Evans était assez célèbre parmi les internautes chrétiens aux États-Unis pour que beaucoup l'appellent en ligne simplement «RHE». Lorsque ses amis et collègues, les écrivains Sarah Bessey et Jeff Chu, ont annoncé une veillée de prière en ligne pour elle le 19 avril, le hashtag #PrayforRHE est devenu l’un des principaux sujets de l’actualité américaine sur Twitter.

Les femmes écrivaines de haut niveau et les oratrices évangéliques américaines se sont traditionnellement concentrées sur des questions spirituelles et ont fui la controverse et la confrontation. Mais Evans utilisait souvent son blog participatif pour défier les pasteurs et les dirigeants masculins. Au fil des ans, elle a même cultivé un intérêt théologique pour la culture et la politique en dialogue avec d'éminents chrétiens conservateurs (qui ont exprimé leurs prières pour elle ces dernières semaines, après qu'Evans ait annoncé la nouvelle de sa maladie.)



Rachel Held Evans réagissait avec droiture devant l'injustice, partout où elle la voyait: elle a publié une série d’articles à propos des abus dans l'Église en 2013, des années avant que de nombreuses institutions évangéliques ne commencent à faire face sérieusement au problème. Mais son talent d’écriture était surtout bienveillant et plein d’humour. Dans son deuxième livre, A Year of Biblical Womanhood, elle a littéralement suivi les instructions bibliques «pour les femmes» pendant un an, campant délicatement dans son jardin pour observer les instructions du Lévitique au sujet des femmes menstruées ! «Elle s'est tellement investie dans ses livres», a déclaré son mari. «Je dis aux gens: si vous voulez connaître Rachel, lisez son travail. » Elle est l’auteure de quatre livres et la co-fondatrice de deux grandes conférences destinées aux chrétiens progressistes: Why Christian (www.whychristian.net) et Evolving Faith (https://www.evolvingfaithconference.com).

Le dernier billet d’Evans a été publié sur Facebook le 6 mars dernier, le mercredi des Cendres, dans le calendrier liturgique chrétien. C'est un jour de repentance et de solennité qui marque le début de la mémoire de la Passion du Christ, et mène à la joyeuse célébration de la résurrection à Pâques. Elle a écrit: «Je suis frappé aujourd'hui par le fait que la liturgie du mercredi des Cendres enseigne une chose sur laquelle presque tout le monde peut se mettre d'accord. Que vous fassiez partie d’une église ou non, que vous croyiez aujourd’hui ou que vous doutiez, que vous soyez chrétien ou que vous soyez athée, agnostique ou mystique, vous connaissez cette vérité qui vous vient du fond des os: ‘Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras à la poussière’. La mort fait partie de la vie. Ma prière en cette saison est que vous preniez le temps de célébrer cette réalité et de la pleurer, et vous saurez alors que vous n'êtes pas seul(e)s.»

David Gonzalez

Sources :


** Traduction en français : « Pourquoi les chrétiens progressistes devraient se préoccuper de l'avortement ? ». Ce texte de Rachel Evans publié le 2 mai 2013 est aussi d’actualité, puisqu’aujourd’hui l’actrice de 39 ans Busy Phillips a décidé de lancer le hastag « #YouKnowMe » pour que le tabou et la honte qui enveloppent l'avortement disparaissent. Invitée de l'émission "Busy Tonight" le 7 mai 2019, l'actrice s'est fermement opposée à la nouvelle loi américaine interdisant l'avortement après six semaines de grossesse (Loi HB 481). Dans l'État de Géorgie, en effet, avorter après six semaines de grossesse, à partir du 1er janvier 2020, sera risquer la prison. Ou la peine de mort :


Je sais que certaines personnes ont une opinion très affirmée sur l'avortement, mais laissez-moi dire une chose, écrit Busy Philips. Les femmes et leurs médecins sont les mieux placés pour prendre des décisions en bonne connaissance de cause, pour faire ce qui est le mieux pour elles, rappelle-t-elle. Personne d'autre. Personne. Une femme sur quatre aura recours à un avortement avant l'âge de 45 ans. Les statistiques surprennent parfois les gens et peut-être que vous vous dites : 'Je ne connais pas de femme qui pourrait se faire avorter.' Eh bien voilà, vous me connaissez, moi" [#YouKnowMe] », poursuit-elle. Je pense qu'il est indispensable que nous racontions toutes nos histoires. » « Une femme sur quatre s'est faite avorter. Beaucoup de gens pensent qu'ils ne connaissent pas quelqu'un dans ce cas mais #YouKnowMe (vous me connaissez). Alors, si vous êtes l'une de ces quatre, partagez votre histoire et commençons à mettre fin à la honte. Utilisez le #youknowme et partagez votre vérité.

La proposition de loi américaine anti-avortement a été signée ce 13 mai par B. Kemp, le gouverneur très conservateur de Géorgie. Elle interdirait tout avortement dès la détection des battements de cœur du fœtus, qui arrive aux environ de six semaines de grossesse, avant même que certaines femmes sachent qu'elles sont enceintes.


Considérée comme médicalement inadaptée par de nombreux gynécologues, cette loi surnommée "Battements de cœur" a pourtant déjà été adoptée dans le Mississippi, en Ohio et dans le Kentucky cette année. La gouverneure républicaine de l'Alabama vient de promulguer ce 15 mai une loi interdisant l'IVG même en cas de viol, en vigueur le 1er janvier prochain. C’est le cinquième État américain qui prend une telle mesure depuis début 2019. La stratégie des conservateurs américains pour interdire l’avortement est de pousser la Cour suprême américaine à revenir sur cette liberté.

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