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Quand l’Eglise catholique se rallie au populisme

Cette Eglise qui flirte avec la droite extrême



Photographie : Damien Guillaume

L’annonce de la venue de Marion Maréchal à l’université d’été du MEDEF, en août prochain, a suscité un tollé chez les patrons. Ex-présidente de leur organisation, Laurence Parisot a twitté que cette venue était « très grave » et plusieurs députés-patrons se sont indignés, si bien que, le président du MEDEF, Geoffroy Roux de Bezieux, a dû annuler son invitation.


Mais la nièce de sa tante et petite-fille de son grand-père, ex-députée du Vaucluse, aura quand même droit à son université d’été pour effectuer sa rentrée médiatique. Et c’est un lieu d’Eglise catholique qui va lui offrir sa tribune. En l’occurrence, l’Institut Croix des Vents-Saint-Joseph à Sées (Orne), un établissement d’enseignement secondaire hors-contrat, installé dans les murs de l’ancien grand séminaire, avec 7 000 mètres carrés d’immeubles nichés dans un magnifique parc de 4 hectares taillés au cordeau. La fraternité sacerdotale Saint-Pierre (FSSP) a acheté au diocèse ornais ce prestigieux domaine, elle y éduque suivant ses règles 180 élèves portant l’uniforme, avec une vingtaine de clercs en soutanes qui leur administrent les sacrements selon la forme dite extraordinaire du rite romain, messe quotidienne en latin et confession hebdomadaire obligatoires.


Créée par des transfuges de la Fraternité lefebvriste Saint-Pie-X ralliés à Rome en 1988 grâce à la médiation du cardinal Joseph Ratzinger, le futur pape Benoît XVI, la FSSP est une société de vie apostolique homologuée canoniquement par Rome.


L’Academia Christiana, laboratoire d’idées catholiques identitaires né en 2013 dans le sillage de la Manif pour tous pour « transmettre et reconquérir dans l’enracinement et le bien commun, face à la décomposition globale » a choisi cet été l’institut Croix-des-Vents pour tenir son « camp d’été » dans cette cité épiscopale de 4 000 habitants. Et il n’y a pas lieu de s’étonner que ce « repaire de fafs, chapelle hors les murs de l’Action française », selon un cadre du Rassemblement National (RN), ait convié l’égérie des droites ultra à y faire campagne : Marion Maréchal est en parfaite affinité avec ce think-tank d’extrême-droite qui mène « la croisade culturelle contre les nouveaux barbares », en se réclamant du « socle civilisationnel chrétien ». Elle prend le relai de Béatrice Bourges, co-fondatrice de la Manif pour tous et militante du Printemps français, de l’évêque hongrois Kiss-Riggo, champion de la résistance contre « l’invasion migratoire », de Renaud Camus, inventeur et promoteur du concept de « grand remplacement », précédentes stars de l’Academia christiana. D


Dans le sillage des chantres du populisme chrétien, le Français Patrick Buisson et l’Américain Steve Bannon, la fondatrice de l’ISSEF (Institut des sciences sociales, économiques et politiques) déploie les arguments de l’appel d’Angers, lancé l’an dernier par Robert Ménard, le maire de Béziers, pour fédérer une « union européenne chrétienne anti-islamique », prônant le scénario apocalyptique du Choc des civilisations, annoncé par Samuel Huntington.


A l’été 2015, la même Marion Maréchal avait défrayé la chronique théologico-politique en participant à une autre université d’été, celle du diocèse de Fréjus-Toulon, en répondant alors à l’invitation d’un évêque « musclé », Dominique Rey. Nombre de catholiques avaient alors exprimé leur indignation de voir un prélat flirter devant les caméras avec l’extrême-droite, oublieux des imprécations prophétiques lancées contre l’extrême-droite : Albert Decourtray, l’archevêque de Lyon déclarait :


« Nous en avons assez de voir grandir le mépris, la défiance et l’hostilité contre les immigrés. Nous en avons assez des idéologies qui justifient ces attitudes. Comment pourrions-nous laisser croire qu’un langage et des théories qui méprisent l’immigré ont la caution de l’Eglise de Jésus-Christ ? »

Jean-Marie Lustiger stigmatisait « l’avilissement de la pensée de ces hommes, une folie idéologique contraire à l’homme et à Dieu, une lèpre de la civilisation ». Plus direct, l’abbé Pierre, s’écriait quelques années plus tôt au micro du Grand Oral La Croix : « Le Pen, ta gueule ! »


Certes, cet été, Marion Maréchal répond à l’invitation d’un groupe traditionnaliste, et non d’un évêque. Mais l’Academia christiana est jusqu’à nouvel ordre une organisation catholique à part entière et qui n’a pas été désavouée par les évêques. La FSSP est en lien direct avec l’évêque de Sées : sur le site internet de son institut Croix-des-vents, elle affiche la photo de Mgr Jacques Habert, en chasuble d’or ornée de pierreries, lors de la visite qu’il rend chaque année à l’établissement, quand il vient y célébrer la confirmation des pensionnaires.


Jugé « inconsistant » par le Trombinoscope des évêques, Jacques Habert, un classique de la familia Barbarin s’est abstenu de toute réaction. Aucun évêque, ni aucune voix d’Eglise ne s’est ému de la venue de Marion Maréchal. Aucune riposte à l’extrême-droitisation catholique. Face à la montée d’un mouvement anti-évangélique d’inspiration néo-païenne qui, tout en se prévalant des valeurs chrétiennes, fait de la lutte contre l’immigration et l’islam son fer de lance, l’évêque Rey avait ouvert la voie. La Conférence des évêques de France, avait embrayé en 2017, refusant de faire barrage à la candidate du Front National à l’élection présidentielle. « Honte aux évêques de France », avions-nous alors protesté (le Monde du 28 avril 2017).


L’inconsistant Jacques Habert ne fait que suivre cette inexorable procession catholique et française vers l’extrémisme. Les dirigeants du MEDEF s’en sont démarqués, mais pas la hiérarchie de l’Eglise, qui ouvre les bras à Marion Maréchal. Sans état d’âme, elle se rallie au populisme chrétien. Au mépris du concile Vatican II qui professe que « L’Eglise ne veut en aucune manière s’ingérer dans le gouvernement de la cité terrestre » (décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise « Ad Gentes » § 12). Et au mépris, surtout, de l’Evangile, qui, suivant Jésus, renverse les barrières dressées entre les hommes par les populismes, chrétien ou autre, casse les logiques identitaires de haine et brise les mécaniques de détestation et de ressentiment.


« Maréchal, ta gueule ! », aurait tonné l’abbé Pierre. C’était au siècle dernier, avant que le populisme catholique ne prenne son envol.



Pour aller plus loin :



Christian Delahaye, 62 ans, est journaliste et théologien. Il a suivi pendant dix ans un cursus théologique universitaire à l’Institut catholique de Paris (ICP). Titulaire du master II de théologie des religions et de la licence canonique de théologie, spécialisé dans le dialogue inter-religieux (christianisme, judaïsme, islam, bouddhisme, hindouisme, religions traditionnelles chinoises et africaines), il a enseigné la théologie des religions et l’histoire des religions au Theologicum (Faculté de théologie de l’Institut catholique de Paris), ainsi qu’au Centre d’études théologiques de Normandie.








Photographie d'illustration par Damien Guillaume

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