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La langue française, un pont entre les cultures

Le cas de Nedim Gürsel


Si en Afrique la langue française rappelle le passé colonial de la France, en Turquie le français a toujours été considéré comme un pont qui permettrait l’accès au monde civilisé. En effet, un réel intérêt de la langue a déjà vu le jour dans l’empire ottoman étant donné que le français était synonyme d’occidentalisation et de progrès.

Par ailleurs, la langue devient une composante nécessaire pour l’homme cultivé, les débuts de la francisation de l’élite ottomane commencent déjà en 1827, une francisation qui se poursuivra dans la jeune république dans laquelle le français reste «Â la belle langue de la culture». De même, les écoles de l’alliance contribuèrent à former une minorité francophone qui perpétua cette tradition dans la Turquie moderne. De plus, la fondation du lycée de Galatasaray à Istanbul permit d’accueillir des élèves sans distinction de religion et où l’enseignement est prodigué en partie en français et calqué sur le modèle français.


En parallèle, Péra, ancien quartier français de l’époque, fut réputé pour la présence de nombreuses enseignes françaises, mais également pour être une véritable vitrine de la culture où se retrouvent artistes, voyageurs et hommes de Lettres. Plus tard, l’affaiblissement de l’empire ottoman poussera toute une génération d’écrivains à devenir de véritables ponts entre l’Orient et l’Occident. Avec la naissance de la Littérature nouvelle (Edebiyet i Cedide) le français pénètre les romans turcs et en parallèle les textes français sont reçus dans l’espace littéraire turc par le biais de la traduction, l’adaptation, l’inspiration ou encore l’imitation. Dès lors la poésie française devient la source privilégiée des auteurs turcs pour ne citer que Tevfik Fikret qui cultiva une sensibilité particulière pour les poèmes de Lamartine.

C’est au contact de la langue française que les écrivains apprirent à s’affirmer comme des individus jouissant de libertés. Cette liberté est aussi celle à laquelle aspirait Nedim Gürsel avant son exil en France.

C’est au contact de la langue française que les écrivains apprirent à s’affirmer comme des individus jouissant de libertés. Cette liberté est aussi celle à laquelle aspirait Nedim Gürsel avant son exil en France. Longtemps persécuté dans son pays, l’écrivain, après la censure de certaines de ses œuvres, décida de jeter l’ancre à Paris, dans le pays «Â où l’on ne met pas Sartre en prison ». Cet exil forcé cultivera le goût de l’aventure, qui s’exprime par le biais de nombreux voyages qui le mèneront à Venise, Berlin, Tunis, Marrakech, Moscou, Sarajevo, la liste est loin d’être exhaustive. Néanmoins, ces voyages ne resteront pas de l’ordre du vu et de l’entendu, mais donneront naissance à des écrits de voyage. En 1990, il publia Seyir Defteri (carnet de bord) dans lequel il raconte ses voyages entrepris en France et dans des villes méditerranéennes. Retour dans les balkansUn turc en Amérique, Güneste Ölüm (l’Espagne est passée à la pelle), Derin Anadolu (Mystères de l’Anatolie), Berlin mise à nu sont autant de titres qui soulignent le nomadisme de l’auteur.


Mais encore, Belle, rebelle, ma France (paru en 2008 en Turquie, 2011 en France), qui fera l’objet de notre travail, relate les différents voyages effectués en France, mais se veut avant tout une réflexion sur les littératures du monde. Par ailleurs, Nedim Gürsel s’inspire de l’art, de la littérature, de l’architecture, de l’histoire et des paysages. Du nord au midi, l’aire géographique devient un prétexte pour pénétrer dans l’univers des poètes, des écrivains et des peintres français avec qui ce dernier s’est déjà familiarisé au lycée de Galatasary et qui ont longtemps alimenté son imagination poétique. Mais encore ces lieux déclenchent le travail de la mémoire, à l’image de la madeleine de Proust, et convoquent des tranches du passé en faisant jaillir des figures d’écrivains et de peintres turcs. C’est une manière de faire dialoguer l’Orient et l’Occident en démontrant, par le biais de l’intertextualité, que le métissage et le brassage ne sont pas impossibles. L’enjeu principal de ce récit de voyage réside dans la jonction de deux cultures et dans l’établissement de ponts entre la jeunesse et la maturité, une manière de raffermir les liens avec la langue française et de réchauffer les liens entre la France et la Sublime Porte. Le choix de la France et du français, l’exil et le pont œuvreront tous à la réussite de cette entreprise humaniste.

Texte publié à l'occasion de la XXVIIe BIENNALE DE LA LANGUE FRANÇAISE de PARIS du 14 au16 SEPTEMBRE 2017

Salima Khattari, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines d’El Jadida, Maroc

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