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L’élégance spirituelle d’Anne Dufourmantelle (1964-2017)




« Analyste, écrivaine, mère, amie, philosophe… Inspirée, inspirante, aimée et aimante », c’est peu dire d’Anne Dufourmantelle : « elle avait le don rare de joindre l’acte à l’élégance de sa parole ». L’auteure laisse une œuvre importante. Son Éloge du risque est un véritable moment de grâce, aux antipodes des catéchismes, des orthodoxies et des clergés. « Un jour, quelqu’un est venu nous chercher en affrontant la nuit et la désolation, nous rendant la possibilité d’avoir un corps vivant, aimé – et de remonter vers la vie. »***




Je voudrais parler de cette grande figure de la philosophie et de la psychanalyse en France, disparue il y a deux ans, même si à première vue, tout oppose la psychanalyse à la méditation et à la spiritualité. Car, en réalité, Anne Dufourmantelle défendit à travers elle une liberté de penser, de changer et surtout d’aimer, dont le monde manque cruellement aujourd’hui. Née le 20 mars 1964 à Paris et morte le 21 juillet 2017 près de Ramatuelle, la psychanalyste et philosophe Anne Dufourmantelle « questionnait le rapport entre la fatalité et la liberté, ce qui fait qu’une vie s’ouvre à la liberté malgré les conditionnements, les fidélités, les obéissances », résume Libération.*


Docteure en philosophie de l’université Paris-Sorbonne en 1994 et diplômée de l’université Brown, elle a enseigné à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris la Villette, à l’Institut des hautes études en psychanalyse, à l’École normale supérieure, à la New York University, et signé plusieurs essais dont Intelligence du rêve en 2012 (Payot), Puissance de la douceur en 2013 (Payot), Défense du secret (Payot, 2015), mais aussi, De l’hospitalité (Calmann-Lévy, 1997, American Philo, Stock, 2006), en dialogue avec Jacques Derrida et Avital Ronell, ou encore, En cas d’amour. Psychopathologie de la vie amoureuse (Payot, 2009).


« Son œuvre mêle avec beaucoup de finesse et de délicatesse excursions philosophiques et occurrences psychanalytiques ».

Elle était aussi jurée du Prix des rencontres philosophiques de Monaco : La sérénité lumineuse et la douceur qui se dégageait d’elle n’étaient jamais mièvres, mais semblaient toujours une grâce conquise au contact de la fragilité et d’une extrême sensibilité à la souffrance,

se souvient Charlotte Casiraghi, présidente des Rencontres de Monaco. Ses mots, son intelligence, sa douceur nous manqueront, parce qu’ils nous aidaient à prendre le risque de s’ouvrir aux autres et au monde. Elle nous a appris à dire oui, à célébrer la vie, et à plonger dans l’invisible.

« Elle était l’auteure d’une œuvre sensible, tressant l’exploration de l’inconscient avec le travail de la raison, attentive aux déterminations des êtres, mais soucieuse de libérer les sources du désir et de la liberté. » (La Croix). On peut rendre fou quelqu’un, disait-elle, en l’empêchant de rêver. On peut aussi sauver sa vie en écoutant ses rêves à temps.**




Je comptais sur elle pour ces moments de perspicacité phénoménale, écrit l’une de ses amies et collègues philosophes anglo-saxonnes, et pour l’art qu’elle avait de me tirer de mes impasses existentielles, de préparer le terrain à la réflexion, de rendre continuellement à la psychanalyse l’aura de prestige qu’elle est sans cesse en passe de perdre. Les étudiants l’adoraient. Je ne peux qu’imaginer les naufragés du transfert qu’elle laisse derrière elle… Anne était courageuse dans sa vie ainsi que dans les trajectoires qu’elle élaborait pour différentes sortes d’écriture. Elle a fait de l’Entretien une forme discursive exemplaire, lieu de la rencontre entre compréhension psychanalytique et réflexion philosophique. Elle repoussait les limites avec une puissance discrète, face aux abîmes de la douceur et aux séductions de l’amour, du sexe et de ces autres valeurs françaises qui apportaient des délices inattendus jusqu’aux rives de mon domaine […].


Sa thèse doctorale, « La vocation prophétique de la philosophie » (Cerf, 1997), a reçu le Prix de philosophie de l’Académie française. L’auteure fait signe vers un radical dessaisissement du sujet de la connaissance en direction de l’éthique, à la manière d’Emmanuel Levinas et de Søren Kierkegaard. Les penseurs prophétiques frayent un chemin de veille pour risquer la question de l’humanité spirituelle de l’homme. Ils témoignent de l’altérité antécédente de Dieu et du prochain qui nous requièrent, responsables, en ouvrant à « l’à-venir ».


La vie est un risque inconsidéré pris par nous, les vivants. Une grâce, malgré tout, a Mercy, écrit-elle, même lorsque tout nous a été confisqué, jusqu’à la possibilité même de parler ou de lire, au risque de traverser l’enfer. On doit alors suspendre sa course et tourner sur soi-même : se convertir ou peut-être danser***

David Gonzalez

** L’Intelligence du rêve, Payot, 2012

*** « Au risque de traverser l’enfer (Eurydice) » in : Anne Dufoumantelle, Éloge du risque, Éditions Payot & Rivage, 2011.





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