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Affaire Vincent Lambert : l’Eglise catholique et la « remontada » intégriste



Photographie : Daan Stevens / unsplash

Autour de Vincent Lambert immobilisé depuis 2008 sur son lit d’hôpital dans un état pauci-relationnel (EPR, conscience minimale), une famille se déchire devant les juridictions françaises, européennes et onusiennes. Les uns demandent la fin d’un acharnement thérapeutique qu’ils jugent déraisonnable, les autres dénoncent dans l’interruption des soins ce qu’ils qualifient de crime. De cet infirmier psychiatrique de 42 ans, ils ont fait une affaire ultra-médiatisée aux multiples rebondissements. L’Eglise catholique aux plus hauts niveaux, pape et évêques en tête, s’y est engagée en rejoignant ouvertement la croisade des groupes intégristes. La « remontada ».



Intégriste, la famille Lambert l’est dès avant que n’éclate l’affaire, bien avant le traumatisme crânien dont fut victime Vincent Lambert lors d’un accident de la route : le père, le Dr Pierre Lambert, gynécologue, dirige l’association Laissez-les-vivre dans l’Indre, il milite contre l’avortement avec son épouse Viviane, sa secrétaire, puis tous deux descendent dans les rues pour manifester contre le mariage pour tous. Les Lambert sont de toutes les croisades menées par les cercles intégristes radicaux. Ils inscrivent leurs enfants dans un pensionnat administré par la Fraternité sacerdotale saint Pie X, fondée par Mgr Marcel Lefebvre, l’évêque d’Ecône excommunié par Paul VI. Selon le Dr Eric Kariger, l’un des praticiens hospitaliers qui a pris en charge Vincent Lambert après son accident et qui est lui-même membre du parti fondé par Christine Boutin, le Parti chrétien-démocrate, l’acharnement des parents Lambert découle de leur sentiment de culpabilité à ne pas avoir protégé leur fils, victime des abus d’un prêtre de la fraternité : «Peut-être sont-ils dans un processus de réparation qui les amène, aujourd’hui, à protéger sa vie « à tout prix », écrit le médecin, dans son livre-témoignage, « Ma vérité sur l’affaire Lambert ».


L’affaire va être lancée dès le départ comme une croisade intégriste. Les parents Lambert ont choisi pour les assister dans leur acharnement judiciaire Me Jérôme Triomphe, l’avocat de l’institut intégriste Civitas, un avocat qui milite pour l’identité française et catholique au sein de l’association d’extrême-droite Agrif et qui défend devant les juridictions les organisateurs de La Manif pour tous. Riposte Catholique et le Salon beige, deux sites bien connus de la nébuleuse intégriste, médiatisent le dossier, rejoints par le blog anti-avortement d’une journaliste de Présent et conseillés par une attachée de presse proche de l’Opus Dei.


C’est donc dans un contexte chauffé à blanc par les militants intégristes que vont devoir intervenir les médecins et les juristes, appelés à poser leur diagnostic et à dire le droit. Rachel Lambert, l’épouse de Vincent, atteste que celui-ci avait à plusieurs reprises manifesté son refus de tout acharnement thérapeutique si un malheur venait à lui arriver. Mais il n’a pas rédigé ses directives anticipées. Toutes les expertises médicales sont concordantes : la dernière en date (novembre 2018), fait état d’une « atteinte encéphalique sévérissime » qui interdit au patient « tout accès à la conscience de son être et de son environnement » et qui « le dépossède de tout ce qui constituait sa personnalité ».



Photographie : Daan Stevens / unsplash


« Il s’agit d’une vie purement biologique, explique le Dr Jean Leonetti, l’un des rédacteurs de la loi éponyme sur la fin de vie, adoptée en 2016 à la quasi-unanimité par le Parlement, une situation où il n’y a plus d’activité cérébrale, où on n’est pas conscient qu’on existe et dans laquelle il est alors possible d’arrêter les traitements de survie. Ce n’est pas une situation de handicap. C’est une situation de prolongation artificielle de la vie. »


« L’état de santé dans lequel se trouve Vincent Lambert est une situation de prolongation artificielle de la vie, résultant de l’action médicale », constate la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), société savante qui regroupe tous les spécialistes.


Tout aussi catégorique est, parmi d’autres, le responsable des soins palliatifs à la maison de santé protestante Bordeaux-Bagatelle, le Dr Bernard Devalois : « son état ne correspond à aucune définition du handicap : il n’a aucune espèce de conscience, ni de soi-même, ni des autres et les clignements de ses yeux filmés par certains de ses proches « relèvent du réflexe ».


Malgré le consensus médical, les parents Lambert poursuivent leurs recours devant toutes les juridictions françaises et européennes, jusqu’au Défenseur des droits et ils en appellent même au président de la République. Tous les déboutent. Mais le 20 mai dernier, un coup de théâtre judiciaire éclate : au matin, le Dr Vincent Sanchez, chef du service du CHU de Reims, a annoncé l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation. Il se conforme aux décisions de justice, aux prescriptions de la loi et aux quatre procédures collégiales qui ont été menées et qui ont abouti à chaque fois à la même conclusion, comme le rappelle la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP).


Viviane Lambert qualifie le praticien devant les caméras de télévision d’« assassin » et de « nazi ». Et la nuit venue, la cour d’Appel de Paris, ordonne le rétablissement des traitements, le temps que le Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU étudie à nouveau le dossier.


Cet arrêt électrise les quelque 200 supporters ameutés C’est la remontada, clame l’un des avocats. On a gagné, scande la petite foule, en liesse comme après un match de foot. Le Premier ministre Edouard Philippe se déclare « assez choqué » par « l’espèce de joie malsaine » des manifestants. « Intégristes », titre Laurent Joffrin dans son éditorial de Libération ; il dénonce des zélotes fanatisés, des croisés enfiévrés qui, au nom de leurs principes obscurantistes, infligent à Vincent Lambert un traitement que son neveu qualifie de « retour en arrière sadique ».


Mais le directeur de Libération se trompe de cible en pointant les milieux intégristes. Ce ne sont plus les seuls groupuscules fanatiques qui poussent les feux et attisent le comportement outrancier, agressif, vulgaire, indécent, pour tout dire exempt de toute charité chrétienne, c’est toute la hiérarchie catholique qui a rejoint la croisade intégriste. Mgr Eric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et président élu de la conférence des évêques de France déclare qu’ « on ne peut pas faire mourir quelqu’un en l’affamant », une formule scandaleuse qui fait injure à la prise en charge palliative, toujours respectueuse du patient. Il « ne voudrait pas (se) présenter devant Dieu en ayant laissé faire ». Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes, avec le groupe de travail de la Conférence des évêques de France renchérit et s’insurge contre ce qu’il qualifie d’ « euthanasie ou de suicide médicalement assisté », alors que l’arrêt des soins n’utilise aucune substance létale, mais interrompt un processus artificiel de maintien en vie. « Pourquoi cette précipitation pour le conduire vers la mort ? », demande-il même quand Vincent Lambert est en EPR depuis onze ans. L’archevêque de Paris, Mgr Michel Aupetit, qui fut médecin généraliste dans une vie antérieure et l’a semble-t-il oublié, enfonce le clou : au mépris des expertises rendues par les plus hautes autorités de santé, il assure que « la décision d’interrompre les soins de confort et de nutrition de base chez un patient handicapé s’oppose à la loi Léonetti. Une fois de plus, résume-t-il, nous sommes confrontés à un choix décisif : la civilisation du déchet ou la civilisation de l’amour. »


L’archevêque parisien relaye la voix de son maître. Ce même 20 mai, le pape François a twitté : « Prions pour ceux qui vivent dans un état de grave handicap. Protégeons toujours la vie, don de Dieu, du début à la fin naturelle. Ne cédons pas à la culture du déchet. » Le préfet du dicastère pour les laïcs, le cardinal Kevin Farrel, et le président de l’Académie pontificale pour la vie, Mgr Vincenzo Paglia en remettent une couche sur « la triste affaire de M. Vincent Lambert » : la poursuite des soins est « un devoir inéluctable », affirment-ils, dénonçant « la grave violation de la dignité de la personne » que représente l’interruption des traitements.


Rome et les évêques ont balancé toute leur autorité magistérielle dans un dossier humain, familial et médical pathétique, pour rallier le combat intégriste des parents Lambert. Ces champions autoproclamés de « la civilisation de l’amour » ne font pas dans la tendresse et coupent court à tout débat. « Pourquoi est-il si difficile d’avoir un débat sur ces sujets ? se désole le Pr Steven Laureys, éminent spécialiste belge de neurologie, qui a examiné Vincent Lambert et qui regrette le manque d’apaisement, l’absence de débat serein ».


« Il faudrait essayer de calmer le jeu, retrouver un peu de sérénité dans un sujet qui est complexe car il touche à l’humain », plaide le président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) le Pr Jean-François Delfraissy.

Les autres responsables religieux s’interrogent : « Est-ce qu’une vie végétative avec un encéphalogramme plat est une vie ?, préfère s’interroger l’imam de Bordeaux Tareq Oubrou. Ce n’est pas une vie au sens théologique. »


« L’arrêt des traitements actifs et de l’alimentation dans de tels cas, permettant à la mort de s’installer naturellement, c’est pas une euthanasie, proteste le président de la commission éthique et société de la Fédération protestante de France, Jean-Gustave Hentz.


« Toutes les juridictions, toutes les morales sont instrumentalisées depuis des années, cela aboutit à une histoire de violence intrafamiliale », note pour sa part le grand rabbin de France Haim Korsia.

Sourd à la complexité des situations, par leur instransigeantisme et leur pensée binaire, le pape François et ses évêques ruinent toute perspective de dialogue. En qualifiant les éthiciens et les spécialistes de neurologie et de soins palliatifs de défenseurs de la « culture du déchet », ils portent une atteinte infâmante à leur expertise et à leur déontologie. Comme si ces soignants traitaient leurs patients comme des ordures ! Mais « rien ne peut et ne doit remplacer, dans la mesure du possible, le dialogue en situation avec le médecin, le patient et la famille », rappellent plusieurs pasteurs protestants (Marjorie Legendre, Luc Olekhnnovitch, Louis Schweitzer) qui « regrettent la situation de blocage de ce dialogue au sujet de la situation de Vincent Lambert »



Le refus du dialogue est la marque de l’intégrisme. Il contrevient aux enseignements tirés du concile Vatican II par le pape Paul VI dans l’Encyclique Ecclesiam suam: « l’Eglise doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit (...) L’Eglise se fait parole, l’Eglise se fait message, l’Eglise se fait conversation », professait Giovanni Montini (§ 67). Dans l’affaire Lambert comme sur tant d’autres sujets, sous la férule de Jorge Bergoglio, l’Église catholique se fait blocage, l’Eglise se fait polémique, l’Eglise se fait zélote fanatisée. C’est une atteinte déchirante portée à la périchorèse qui noue « l’ineffable et réel rapport de dialogue offert et établi avec nous par Dieu le Père, par la médiation du Christ dans l’Esprit Saint. » (Ecclesiam suam § 73).




Christian Delahaye, 62 ans, est journaliste et théologien. Il est l'auteur de deux ouvrages aux éditions Empreinte : Scandales, les défis de l'Eglise catholique et L'alliance contre nature. Quand les religions nourrissent les populismes

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