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Photo du rédacteurDamien GUILLAUME

Théologie of Thrones : le réveil du politico-religieux





Pourquoi je déteste Game of Thrones : si vous avez aimé le récent et désopilant billet grincheux de la rubrique « Pixel » du Monde - et si vous pensez que « la vérité est ailleurs » que dans le succès planétaire d’une série télé telle que l’ultime saison du Trône de fer (sur la chaîne OCS), cet article de Pop théologie est fait pour vous.


Économisez dès maintenant 72h de temps de vie (sans télé) et 4h de lecture. N’attendez pas la fin du Brexit, lisez la suite : il y est question (brièvement) de la destinée (tu ne sais rien, Jon Snow), du pouvoir (régner par-delà le bien et le mal), de la domination (l’avènement des femmes puissantes), de l’effondrement (l’humanité unie face au changement climatique ?), de la confiance des hommes les uns envers les autres (sans laquelle « la société toute entière se disloquerait », G. Simmel) et du réveil du politico-religieux.

« Ils veulent tous s’approcher du trône : c’est leur folie » (Friedrich Nietzsche) C’est le dernier hors série de Philosophie Magazine (PM n°41/2019) qui offre les clés de lectures les plus stimulantes (dans l’esprit de la pop philosophie de Jacques Deleuze) pour décrypter cette fiction devenue culte, à partir du synopsis d’une saga d’heroic fantaisy.


Dans l’histoire de ce royaume, dont le trône de fer convoité a été forgé grâce au souffle des dragons disparus, tout est divisé en provinces gouvernées par de grandes familles ayant fait allégeance à un roi. Les Lannister, les Stark, les Tyrell (rien à voir avec la marque de chips), les Baratheon, les Greyjoy, etc. évoluent dans une ambiance médiévale. Leurs traditions sont imaginaires - comme dans l’oeuvre respective de Tolkien et de C.S. Lewis, les fondateurs de ce genre littéraire -, elles se déroulent entièrement sur des îles intrigantes, mais si belles ! Au point que certains voyagistes nous révèlent et soutiennent que Game of Thrones a fait plus pour le tourisme en Écosse et en Croatie (où s’est déroulé le tournage) que des années de publicité. La photographie de la série est sombre, mais ses paysages de cottages, de côtes atlantiques et de glaciers immaculés sont magnifiques.


« Voici l’heure où le lion affamé rugit, où le loup hurle à la lune » (William Shakespeare) Passons brièvement sur les cinquante nuances de noir de l’histoire (Raphaël Enthoven, Sven Ortolli), le sujet de fond est la conquête du pouvoir :


« Voyez donc ces superflus ! Ils acquièrent des richesses et en deviennent plus pauvres. Ils veulent la puissance et tout d'abord le levier de la puissance, beaucoup d'argent, - ces impuissants ! Voyez-les grimper, ces singes agiles ! Ils grimpent les uns sur les autres et se poussent ainsi dans la boue et l’abîme ! Ils veulent tous s’approcher du trône : c'est leur folie, - comme si le bonheur était sur le trône ! Souvent la boue est sur le trône - et souvent aussi le trône est dans la boue. » (F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra).

C’est le paradoxe du « Crépuscule des dieux » : Game of Throne est sombre et apparemment sans appel, mais contient dans « cette impudeur plus de générosité que de cynisme ». Le respect de la règle « héroïque » fait notre bonheur, lorsque le mal est partout et n’épargne personne, y compris dans le domaine de la sexualité, qui occupe une place centrale dans la série. Pour Daenerys, la blonde et séduisante reine et mère des dragons, il s’agit plus d’être aimée, en effet, que crainte. Pour Jon Snow, le héro, il s’agit d’accepter sa faiblesse et de garder toujours assez de courage pour agir et espérer. Puisqu’il a été appelé (dès la première saison) par un Dieu dont il n’entend pas la voix, c’est que « Dieu n’est peut-être pas là pour nous parler », lui réplique un personnage, « mais pour nous laisser agir ». L’homme de foi et le sceptique s’accordent ici :


« il y a des gens qui font ce qu’ils peuvent, et à qui il suffit de faire ce qu’ils peuvent pour être invincibles, même lorsqu’ils sont vaincus » (Raphaël Enthoven, PM n° 41, p. 23)

L’exercice et la conquête du pouvoir (bien saignant) dans cette série, relèvent, quant à eux, d’un Machiavel aux accents shakespeariens : « soit on gagne, soit on meurt. Il n’y a pas de juste milieu. » Game of Thrones montre aussi « que les décisions politiques introduisent de l’irréversible dans l’histoire » (Matthieu Potte-Bonneville, p. 30) : sa ville capitale s’appelle Port-Réal. Réaliste. L’autorité morale de ses héros s’appuie sur leur charisme. Plus ou moins charmant. « Sous des fards féeriques, la série met en scène la Realpolitik avec un luxe de détails inouï ». (PM n° 41, p. 74)

« La vulnérabilité des personnages, c’est cela, plus qu’une armure, qui est intéressant dans la série », souligne Sandra Logier, professeur de philosophie à La Sorbonne. Tyrion Lannister, surnommé le Lutin, le Nain, le Gnome ou encore Mi-homme, est l’un des personnages centraux les plus attachants de la série écrite par R.Georges Martin. C’est lui qui la rend addictive. La révélation la plus sympathique de ce casting. Le rôle de Brienne, la femme chevalier qui associe des qualités masculines et féminines, est aussi subversif. Mais l’ironie du Mi-homme (né en 273 dans les livres qui inspirent cette série), incarné par l’acteur Peter Dinklage qui se bonifie et embellit au fil des huit saisons, est une première : « il a sa part d’ombre, il connaît des moments de haine de soi, mais le plus souvent, il s'accommode fièrement d’être nain - et mène d’ailleurs une belle vie, sexuellement notamment ». Il est la valeur principale transmise au grand publique.




Le renversement des positions, de la femme-objet à la femme-sujet, est tantôt considéré comme féministe par les fans de la série, tantôt décrié lorsqu’elle met en scène des rapports de domination genrés. La catastrophe climatique et les migrations sont également omniprésentes : Winter is coming [l’hiver vient] et avec lui ressuscitent les morts qui accompagnent les Marcheurs blancs (les méchants), venant d’au-delà du mur de glace. « Chez nous, c’est Summer qui débarque, le grand été du réchauffement climatique avec ses guerres de l’eau annoncées, ses flux de désespérés fuyant la famine, les conflits et la souffrance. Mais dans les deux mondes, les luttes pour le pouvoir continuent. (…) Bienvenue dans un monde pré-apocalyptique… » (PM n°41, p. 46) Le réveil de la spiritualité politique n’échappe à personne qui suive l’actualité, ou Game of Thrones : « en 2015, la population mondiale comptait 84 % de croyants. Le taux est stable, mais la ferveur s'intensifie, jusqu'à susciter parfois une forme d'intolérance fanatique. De l'expansion des mouvements évangéliques au dynamisme de l'islam, en passant par la multiplication de conflits interconfessionnels, notre époque est moins sécularisée qu'on a pu croire. » De même que cette série hors normes : « alors que la religion n'était plus qu'une institution moribonde et que la magie passait pour un simple mythe, l'omniprésence de la guerre et la menace d'une apocalypse attise les peurs et réveille le besoin de transcendance. Ce retour du religieux questionne aussi bien les athées que les croyants aujourd'hui. » (PM, p. 58-61)


David Gonzalez





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