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Photo du rédacteurChristian Delahaye

La pseudo-révolution de la curie romaine




À partir de ce 5 juin (dimanche de la Pentecôte), la réforme de la curie romaine, promulguée le 19 mars par la constitution apostolique Praedicate Evangelium, entre en vigueur. Présentée à la presse en italien (non traduite à ce jour ni mise en ligne sur le site du Vatican), il s’agirait d’une « révolution ». Un nouveau visage d’Église s’y dessine, se félicitent les théologiens mainstream. Mais, hormis quelques retouches bureaucratiques (suppression de doublons et redéfinition d’attributions redondantes et ajustements financiers), concrètement, quoi de neuf dans la vie de l’Église catholique à partir du 5 juin ?


Un nouveau dicastère, dédié à l’évangélisation ? En réalité, c’est la fusion de deux structures qui étaient déjà en service (le conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation et la congrégation pour l’évangélisation des peuples). L’accès des laïcs aux charges curiales, présenté comme une extraordinaire nouveauté ? En réalité, le dicastère de la communication était déjà présidé par un laïc depuis plusieurs années, Paolo Ruffini ; de surcroît, plusieurs organismes, les plus influents, restent réservés aux seuls cardinaux. Une saine décentralisation ? En réalité, c’est exactement le contraire : avec cette réforme, les pouvoirs centraux du pape sont renforcés à tous les étages de la hiérarchie curiale : le pontife s’arroge même la présidence d’un dicastère, en l’occurrence le premier dans l’ordre, ce qui ne s’était jamais vu encore dans l’histoire ; tous les responsables de la curie, clercs et laïcs, restent en outre nommés par le pape et seulement par lui ; leur pouvoir est strictement « vicarial », c’est-à-dire qu’ils l’exercent non pas par eux-mêmes, mais par délégation expresse du pontife qui les nomme et les contrôle ; chacun des seize dicastères est d’ailleurs dédié au seul « service de la mission du pape » ; quant au secrétariat d’État qui dirige et qui coordonne le travail de chacun, il est désormais explicitement désigné comme « le secrétariat du pape ». Le mandat du pape prime ainsi sur tout et sur tous. Il tranche toutes les questions en dernier ressort. Il n’est soumis à aucune juridiction, à aucun contrôle, à aucun contre-pouvoir, ni à aucune limite.


Sainte colère dans la chapelle Sixtine



Les anges de la chapelle Sixtine se souviennent peut-être de la sainte colère poussée sous leur firmament le 22 décembre 2014 par Jorge Bergoglio. Il avait alors dénoncé toutes les maladies de la curie : jamais d’autocritique, marthalisme, pétrification mentale et spirituelle, fonctionnarisme, mauvaise coordination, Alzheimer spirituel, vanité, schizophrénie existentielle, commérage, carriérisme, visage lugubre, clanisme, profit mondain (voir Scandales, les défis de l’Église catholique, Empreinte temps présent).


Huit ans après, le même pape administre avec sa réforme le remède universel à toutes ces pathologies : lui, plus exactement son pouvoir, convaincu que ce qu’il juge bien est bien pour tous, oublieux qu’il est des résultats toujours désastreux que produit dans l’histoire l’exercice abusif du pouvoir absolu, autant pour l’intéressé que pour son peuple.


Des commentateurs remarquent que Praedicate Evangelium est publiée alors qu’est engagée une démarche synodale. Celle-ci encourage l’ensemble des fidèles à s’exprimer en toute liberté dans le cadre de débats grand ouverts. Comme si la porte allait enfin s’ouvrir, simultanément et en contrepartie, à la vos populi, aux signes des temps, aux cultures du monde, au sens surnaturel de la foi qui est celui du peuple tout entier, lorsque des évêques jusqu’aux derniers des fidèles laïcs, apportent aux vérités concernant la foi et les mœurs un consentement universel (selon la constitution Lumen Gentium 12 A adoptée par Vatican II). Mais la réalité est tout autre. Le motu proprio Apostolica sollicitudo, publié en 1965 par Paul VI, a institué le synode comme une instance purement soumise au primat universel, complètement subordonnée au pouvoir papal.


Le synode est toujours dépendant du pape, explique l’ecclésiologue Gilles Routhier (Penser la réforme de l’Église, Cerf, 2021), il n’a pas d’autonomie de décision et ses décisions requièrent obligatoirement une ratification papale. Inversement, le pape n’est jamais lié par les recommandations du synode.

Le synode ne renverse pas la pyramide


Le synode ne renverse nullement la pyramide, les chrétiens de base, si le droit de se défouler leur est accordé, demeurent tout en bas et le pape, au sommet, tout en haut. La pleine collégialité ne pourrait être effective que dans le cadre d’un concile général qui rassemble tous les évêques de l’Église catholique. Dans l’histoire, rappelle Christoph Theobald (Le courage de penser l’avenir, Cerf, 2021), les manifestations extraordinaires et solennelles que sont les conciles ont toujours répondu à des situations de crise : l’essor de l’arianisme au concile de Nicée (325), le Grand Schisme au concile de Constance (1414-1418), la Réforme au concile de Trente (1547-1563), le modernisme au concile de Vatican I (1869-1870). Mais leur convocation dépend du pouvoir du pape seul. Et le pape actuel ne juge donc pas que l’institution traverse aujourd’hui une crise suffisamment ouverte et profonde pour un réel partage et des mesures véritablement collégiales.


Un nouveau visage d’Église autocratique.


Du moins Jorge Bergoglio ne cesse-t-il de penser qu’il est la seule personne providentielle en mesure de mettre au pas une curie qu’il juge atteinte de nombreuses pathologies, et seul en droit de diriger le système romain. Voilà donc le nouveau visage d’Église tel qu’il le dessine : autocratique comme jamais.

Tous les papes depuis Jean XXIII (sauf Jean-Paul 1er) ont fait leur réforme de la curie : Jean XXIII avait rétabli les audiences Di Tabella, réuni les patrons des dicastères pour qu’ils se concertent mutuellement et créé le secrétariat pour l’unité des chrétiens. Paul VI avait créé de nouveaux organismes ouverts vers le monde extérieur, comme Justice et paix, le secrétariat pour les non-croyants, ou le conseil des laïcs, et il y avait nommé de nombreux laïcs. Jean-Paul II avait transformé les conseils pontificaux en dicastères, leur conférant davantage d’autonomie et nommant à leur tête des évêques extérieurs à la curie et résidant loin de Rome. Benoit XVI avait créé l’autorité d’information financière, le conseil pour la promotion de la nouvelle évangélisation, lui rattachant la congrégation pour le clergé et les compétences sur les séminaires de la congrégation pour l’éducation catholique.


Alors, que retiendra-t-on de Praedicate Evanglium, sinon l’extension des pouvoirs du pape à tous les étages, nettement au-delà des concentrations déjà en vigueur dans le système romain, ce système dont Teilhard de Chardin disait : Nous le défendons en n’étant plus catholique ? La révolution selon le pape actuel, comme s’extasient ses thuriféraires, confisque en fait tous les droits pour le pape, évite toute remise en cause des ministères sacralisés, vise principalement à remettre au pas la bureaucratie, cette fille de la hiérarchie, comme disait Jacques Ellul (Anarchie et christianisme, la Table Ronde). La réforme qui entre en vigueur le jour de la Pentecôte 2022 marque la toute-puissance du pape actuel. Archè, la puissance en grec, le mot est employé douze fois dans le Nouveau Testament, où n’apparait pas le mot hiérarchie, remarquait Yves Congar (Pour une Église servante et pauvre, Cerf). Trois fois il s’agit de magistrats, du pouvoir public civil ; les neuf autres fois, il s’agit des Puissances que le Christ s’est soumises ou devra se soumettre. Dans aucun cas le mot n’est appliqué aux autorités de l’Église. Sauf aujourd’hui, avec une réforme qui verrouille l’évangélisation sous le pouvoir pontifical et oublie l’Évangile.


Christian Delahaye

Journaliste et théologien, prochain ouvrage à paraître Les animaux et les dieux, essai de théologie animaliste (Empreinte temps présent – Golias).




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