Existence et statut
de la figure divine

« Dieu est une donnée manifestement psychique et non pas physique, c'est-à-dire qu’elle n’est constatable que psychiquement, et non physiquement»
Réponse à Job, p 228
« on ne peut rien savoir métaphysiquement, mais seulement psychologiquement. C’est pourquoi je dépouille les choses de leur aspect métaphysique pour en faire des objets de psychologie. Je puis ainsi en extraire au moins quelque chose de compréhensible, et le faire mien, et j’apprends en outre à partir de là les conditions et les processus psychologiques qui étaient auparavant voilés dans des symboles et soustraits à la prise de compréhension»
Commentaire sur le mystère de la fleur d’or, p.70.
Psyché en grec signifie l’âme. La foi est du domaine de l’âme, et que toute connaissance de Dieu passe uniquement par elle.
Dans le passé tous les phénomènes qu’on ne pouvait expliquer étaient compris comme provoqués par un dieu. Petit à petit, la raison a remplacé les dieux. D’où aujourd’hui la difficulté de leur donner une place. Alors, où est Dieu ? Cette question taraudait Jung depuis sa jeunesse :

Nous avons interrogé la terre
Nous avons interrogé le ciel
Nous avons interrogé la mer
Nous avons interrogé le vent
Nous avons interrogé le feu
Nous t’avons cherché chez tous les peuples
Nous t’avons cherché chez tous les rois
Nous t’avons cherché chez tous les sages
Nous t’avons cherché dans notre tête et dans notre cœur,
Et nous t’avons trouvé dans l’œuf.
Sabi Tauber, Mon analyse avec Jung, p. 151.
L’œuf est l’image ici du monde intérieur et de l’imaginal.
Le monde intérieur s’exprime par les images qui surgissent des profondeurs. Elles sont notre réalité intime : « Ce monde tangible et visible est une réalité, mais l’imaginaire est l’autre réalité, écrit Jung. Tant que nous laissons le Dieu dans le tangible et le visible, dans l’en dehors de nous, il est insupportable et désespérant. Mais si nous faisons du Dieu une figure imaginaire, alors il est en nous et facile à porter. Dieu hors de nous augmente le poids de ce qui est lourd, Dieu en nous allège tout ce qui est lourd» (Livre rouge p 328). Derrière ce « insupportable et désespérant » très provocateur, il faut sans doute comprendre, entre autres, notre difficulté actuelle d’accorder un côté protecteur à une Providence divine. Nous pouvons alors nous poser la question : d’où vient la source d’amour ?
Pour Jung, la réalité divine se vit dans un espace intérieur immense :
« il me semble bien plus raisonnable d’accorder à la psyché la même réalité qu’au monde de l’expérience et de lui prêter la même « réalité effective » qu’à ce dernier. Pour moi en effet, l’âme est un monde dans lequel le moi se trouve contenu. Peut-être y a-t-il des poissons qui croient contenir la mer». - C.G. Jung, Commentaire sur le mystère de la fleur d’or, p.71
Sommes-nous assez proches de notre âme pour ressentir sa réalité effective ?
L’ouverture du monde intérieur est nécessaire pour accéder à l’expérience de Dieu. Car dit Jung,
« l’empiriste ne pense pas de haut en bas, à partir de prémisses métaphysiques, il remonte au contraire d’en bas, du monde des phénomènes». - C. G. Jung, Le divin dans l’homme, p. 64


« L’aveuglement systématique est tout simplement l’effet du préjugé que la divinité est extérieure à l’homme. […]. Nous pourrions en conclure que ce symbole, apparu spontanément dans les rêves des contemporains signifie quelque chose d’analogue : le dieu intérieur. […]. L’éducation religieuse a toujours déprécié cette idée comme « mystique ». Mais c’est précisément cette idée « mystique » qui est imposée au conscient par les rêves et les visions».
Psychologie et Religion, p. 112-113
Jung fait le récit de l’analyse d’une patiente, où elle était enferrée dans une passion pour lui. Une série de rêves a montré l’émergence en elle d’une figure divine, qu’elle projetait sur le thérapeute. La prise de conscience de ce Dieu intérieur a permis à la patiente de se libérer de sa névrose. Sommes-nous à l’écoute de nos rêves ?

Pour John Dourley, la psychologie de Jung est en continuité « avec celle de St Anselme (1033-1109) et avec certaines dimensions de l’esprit chères à St Augustin, lequel situait la base de l’expérience humaine de Dieu dans l’intériorité. Toutefois, il se distingue de ces géants du christianisme en identifiant les origines du l’expérience du divin dans la psyché ». - John Dourley, La maladie du christianisme, p. 129
« il existe une objection quasi stéréotypée contre les propositions de Jung : c’est le reproche d’avoir une vue « uniquement psychologique » de tous les contenus et les affirmations de la religion et ainsi de leur dérober leur réalité « métaphysique ». L’expression « uniquement psychologique » implique l’idée que la psychologie est « uniquement » ce que l’homme sait de lui-même. Chez Jung, au contraire, elle signifie avant tout l’exploration empirique de la partie inconnue de la psyché. Celle-ci se manifeste dans les rêves, les actes manqués, les convictions qui surgissent soudain…il s’agit là du domaine d’un psychisme objectif que nous ne pouvons cerner en aucune manière, et dont nous ne pouvons jamais légitimement déclarer que c’est « mon » inconscient».
Marie Louise von Franz, Jung, son mythe en notre temps, Buchet Chastel, Paris, 1988, p 212-213.

Sommes-nous prêts à nous ouvrir à l’inconnu qui est en nous ?