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le sens du sacrifice

Nous avons appris que Jésus avait été mis en croix pour notre salut. Comment comprendre cette relation entre ce supplice et notre péché ? Il est présenté par l’Eglise comme un sacrifice destiné à racheter l’humanité pécheresse. Mais si l’on y réfléchit, est-ce acceptable ? Est-ce compatible avec la doctrine de la miséricorde divine ?

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« Le Dieu de bonté, écrit Jung, est à ce point inconciliant et implacable qu’il ne se laisse apaiser qu’au prix du sacrifice d’un homme. Il y a là quelque chose d’intolérable que la sensibilité moderne ne parvient plus à accepter ».

Réponse à Job, p. 156

On est face au côté sombre et destructeur de la Divinité, celle que Jung a relevée dans la tradition juive, et dans l’archétype du divin. Dans le sacrifice, c’est la présence de Dieu dans sa colère implacable qui se fait sentir. Il semble qu’elle se tienne derrière les représentations terribles du Christ en croix.

Les répétitions rituelles et les lectures fréquentes des textes de la Passion du Christ risquent de nous faire perdre l’émotion devant la réalité de la crucifixion. Il ne faut pas perdre pas de vue l’atrocité de l’événement. Ignace de Loyola recommandait à ses disciples de méditer en se représentant l’image du Christ crucifié, et les crucifix des églises espagnoles font ressortir le côté sadique de l’exécution, dans des sculptures d’un réalisme très cru dont la vue est difficile à supporter. Le protestantisme a enlevé le corps de la croix, dans son processus habituel de rationalisation. Il s’est coupé de la puissance de l’image, en répétant que l’important était le Christ ressuscité. Mais c’est parce que la représentation du Christ crucifié agit puissamment en nous qu’elle est restée vivante en Occident pendant deux millénaires. Il faut accompagner son cheminement dans nos profondeurs pour la comprendre.

Ignace de Loyola, Exercices spirituels pp. 52 et 110.

Le rituel du sacrifice des animaux sacrifiés sur l’autel par les prêtres était commun à nombre de religions antiques. L’idée reste très simple : le fidèle offre à la divinité une vie en échange de la sienne. Par cette monnaie primitive, il rachète ainsi son salut, dans une sorte de troc. Le Dieu menaçant, en colère, est devenu favorable par l’acte insoutenable. Comme Sa colère est bien plus terrifiante que la vision du supplice, celui-ci devient supportable, utile, justifié, presque « merveilleux » par son efficacité.

L’église primitive a donc utilisé ce schéma pour comprendre le mystère de la mort de Jésus : il a été sacrifié pour nous racheter. Si l’on regarde cette idée d’un œil neuf, on se rend compte qu’elle fait peser sur nous une terrible responsabilité. Dans son autobiographie spirituelle, Thérèse d’Avila s’accusait d’être responsable de la mort de Jésus lorsqu’elle se laissait prendre par les plaisirs de la vie :

« C’est une honte, et j’ai vraiment honte de moi, et s’il pouvait y avoir des blâmes au ciel, j’y serais à bon droit encore plus blâmée. Comment pouvons-nous vouloir tant de biens et de plaisirs et une gloire sans fin pour l’éternité, le tout aux dépends du bon Jésus ? Jouirons-nous avec des plaisirs et des divertissements de ce qu’il a gagné pour nous au prix de tant de sang ?»

Thérèse d'Avila, Livre de la vie, p. 269

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Pour Jung, cette lecture du supplice de Jésus ne peut être acceptable par la mentalité contemporaine que si on la comprend de manière symbolique. Derrière l’image antique du sacrifice, il décèle la présence d’une réalité psychologique fondamentale : dans le sacrifice que j’offre, je m’offre moi-même en sacrifice, je suis à la fois le sacrificateur et le sacrifié.

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« La psychologie de ce processus, écrit-il, permet de comprendre pourquoi l’homme apparaît d’une part comme le sacrificateur, et d’autre part comme la victime, et pourquoi aussi il n’est pas le sacrificateur et l’offrande puisque c’est Dieu qui est l’un et l’autre, et pourquoi Dieu dans l’acte sacrificiel homme souffrant et mourant, et pourquoi ce dernier, en mangeant dans l’Eucharistie le corps glorifié, acquiert la certitude de sa Résurrection, ou mieux, prend conscience de sa participation à la divinité ».

Les racines de la conscience, p.286

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« Le symbole majeur de la foi chrétienne, la croix, à laquelle est suspendu la figure torturée du Sauveur depuis bientôt deux mille ans, a été imposée au regard du chrétien. Cette image est complétée par celle des deux larrons, dont l’un ira en enfer, tandis que l’autre ira au paradis. On ne saurait mieux décrire les contrastes inhérents au symbole central du christianisme. Comment ce résultat inéluctable de la psychologie chrétienne peut-il signifier le salut, voila qui serait difficile à concevoir si justement la prise de conscience des contraires, quelque douloureuse qu’elle puisse être au moment où elle se produit, n’impliquait, n’apportait la perception immédiate d’une délivrance […] c’est précisément au sein du conflit le plus extrême et le plus menaçant, (la perception intime de l’opposition inhérente à Dieu) que le chrétien peut faire l’expérience de la rédemption vers le divin, dans la mesure, où supportant la tension et ne s’effondrant point, il assume le fardeau d’être un élu. »

Réponse à Job, p. 129

Chacun pourra constater combien les métamorphoses de la vie psychiques ont lieu grâce à des sacrifices. Jung ajoute : « C’est, en petit, une véritable fin du monde. Le sujet a l’impression que tous les éléments qui constituaient sa vie retombent dans une manière de chaos originel. Il se sent abandonné, désorienté, vulnérable à l’extrême, tel un navire sans gouvernail et livré aux fureurs des éléments » (Dialectique du moi et de l’inconscient, p. 95) Et ailleurs : « Le Soi m’appelle au sacrifice, il est le sacrificateur, et je suis la victime2 » (Les racines de la conscience, p. 284). Le croyant se sent lui-même sacrifié par cette puissance du Soi. Mais comme le montre l’exemple d’Abraham amené à sacrifier son fils unique, « comme le moi fait partie du Soi, il est à la fois le sacrificateur et la victime. Mais en se sacrifiant lui-même, il devient homme. Il passe de l’état potentiel à l’état actuel. » (Les racines de la conscience, p. 285)

La mise à mort du Christ devient alors le symbole du sacrifice comme moteur de renouvellement de la vie psychique, avec la promesse de la résurrection, de l’accès à une vie nouvelle. Ceci montre tout l’intérêt de parler de sacrifice, et non de deuil : « faire du sacré » c’est s’ouvrir à une vie nouvelle, et non s’anéantir dans le renoncement. On peut justement comprendre le péché comme ce qui nous enferme et ce qui bloque l’évolution naturelle de la psyché. En devenant le symbole de notre propre sacrifice, celui du Christ nous libère en ce qu’il est la promesse de surmonter cet enfermement. D’où l’importance pour Jung de mettre le sacrifice en relation avec la confession des péchés, qui sera d’autant plus efficace qu’elle sera écoutée de façon individuelle. L’apôtre Jacques conseillait aux chrétiens de la diaspora de se confesser les uns aux autres.

Le Christ sur la croix est déchiré par le conflit, mais il l’a surmonté. Il est au centre, entre les deux bandits suppliciés à sa droite et à sa gauche : il illustre cette position tierce qui permet la résolution du conflit entre les opposés. En cela il donne l’espoir d’un apaisement de ce qui déchire la psyché.

Cette image semble remonter du fond de l’inconscient collectif : on trouve en Egypte, dans l’île de Philae, une effigie représentant Osiris sous la figure d’un crucifix, pleuré par Isis et Nephtys, ses sœurs-épouses.

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