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Amour du prochain

Jung avait la sensibilité politique assez « conservatrice » d’un Suisse de son temps et de son époque. Mais il refuse d’être un gourou, un modèle et encore moins un fondateur de religion ou de parti. Il ne nous délivre aucune ligne de conduite, sauf à nous encourager à trouver notre propre relation au réel et au Soi, qui engage notre responsabilité vis-à-vis des autres.

A une patiente qui lui confiait ses difficultés de relation, il répond :

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« soyez vraie, allez à l’essentiel. De cette manière, les personnes qui vous entourent seront obligées, elles aussi, de se tourner vers leur propre réalité. Les liens deviendront véritables et authentiques ».

Sabi Tauber, Mon analyse avec Jung, p 49

Les relations peuvent être véritables et authentiques lorsque la personne ne projette plus sur autrui ses attentes infantiles. Comme l’écrivait le prêtre et psychanalyste Eugen Drewermann :

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« seul celui qui peut ancrer dans l’infini l’archétype du père et de la mère peut relativiser ses attentes de protection et de sécurité, et ainsi reconnaître et accepter l’autre, avec ses limites réelles. Pour parler plus clairement, seule la foi en Dieu rend possible la dissolution de l’amour de transfert et ouvre à l’amour véritable de l’autre »

Eugen Drewermann, L’amour et la réconciliation, p. 66.

Jung aimait citer un épisode de la vie du Christ rapporté par un papyrus du 1er siècle. Ses disciples lui demandent comment accéder au ciel depuis la terre. Jésus répond : « Ce sont les poissons et les oiseaux qui vous apportent le Royaume des cieux. Par conséquent, aspirez d’abord à vous connaitre vous-mêmes, car vous êtes la ville et la ville est le Royaume». Jung commente : de même que les animaux trouvent leur chemin par instinct, l’homme doit être en lien avec ses images intérieures et ses instincts. C’est ainsi qu’il peut réaliser en lui-même le Royaume, et accueillir le Christ intérieur.

 

Et il ajoute « L’incarnation n’a pas encore eu lieu. C’est uniquement maintenant que l’incarnation totale de l’Anthropos se produit en chaque individu. Le lien avec un Dieu extérieur disparaît alors, car le dieu est en chacun de nous2». Il nous faut donc réaliser en nous le Royaume, en accueillant à la fois l’Autre, le Christ, et l’autre, le prochain.

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Mais cette réalisation du Royaume suppose que nous soyons pleinement responsables, et que nous prenions les situations en main. Pour Jung, « les fils que Dieu a élus ne sont pas ceux qui s’accrochent à lui en tant que Père, mais ceux qui trouvent le courage de se mettre debout sur leurs propres pieds » (C. G. Jung, Le divin dans l’homme, p. 511).

 

Et pour Marie Louise von Franz, le verset « celui qui ne reçoit pas le Royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera pas » (Marc, 10,15) ne signifie pas qu’il faut demeurer une petite brebis pour atteindre le Royaume. Il faut au contraire accéder à l’état adulte, tout en restaurant « la capacité non réfléchie de réaction vitale totale, soutenue et inspirée par le Soi » (Marie Louise von Franz L’interprétation des contes de fées, p. 379).

Jung trouve des accents pauliniens, en lien avec cet accueil du Christ intérieur, lorsqu’il souligne l’importance de l’amour du prochain dans une société massifiée, où les gens sont entassés, et où les relations personnelles sont minées par la méfiance. Il écrit :

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« En face de ce danger, la société libre a besoin d’un liant de nature affective, comme l’amour chrétien du prochain. Mais précisément c’est l’amour du prochain, l’amour de l’être proche, qui subit les plus grands dommages du fait des projections et du manque de compréhension qu’elles entraînent. C’est pourquoi il est du suprême intérêt de la société libre qu’elle se soucie, grâce à une compréhension profonde de la situation psychologique, de la question des relations humaines. C’est de la relation d’homme à homme que dépendent sa cohésion et par conséquent aussi sa force. Là où cesse l’amour, commence la puissance, l’emprise violente et la terreur ».

Présent et avenir, p. 98

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