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Le polythéisme

naturel de l’âme

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« Ce n’est que depuis un peu plus de mille ans que nous sommes passés des commencements les plus grossiers du polythéisme à une religion orientale hautement évoluée qui a élevé l’esprit imaginatif du demi-sauvage à une hauteur sans rapport avec le niveau de son développement spirituel. Pour se tenir dans une certaine mesure à ces altitudes, il était inévitable que la sphère des instincts fût considérablement comprimée. [...] Naturellement, ce qui est comprimé n’évolue pas, mais continue de végéter dans une barbarie primitive au fond de l’inconscient»

Commentaire sur le mystère de la fleur d'or. p 65 

Les archétypes sont chez Jung l’origine de ce polythéisme de l’âme. « Les images originelles constituent les formes représentatives les plus générales et les plus reculées dont dispose l’humanité. Elles sont tout autant sentiment que pensée ; elles ont même quelque chose comme une vie propre, indépendante et autonome. Elles sont en cela un peu analogue à des âmes parcellaires» C.G. Jung, Psychologie de l’inconscient, p. 124.

Ces énergies sont plurielles. Dans les débuts de la religion juive, l’image de Dieu était plurielle, comme l’atteste le nom même d’Elohim. Et dans les religions environnantes, la pluralité des idoles montre bien les tendances polythéistes de l’âme.

Mais nous avons une culture monothéiste. Ces tendances font-elles sens de nos jours ?

Dans un article paru récemment dans le journal Réforme (Réforme n°3780, 6 décembre 2018, p.4), Vinciane Pirenne-Delforge, montre que le polythéisme, dans l’antiquité, correspondait à la vie de l’âme : « Un de mes objectifs consiste à faire comprendre aux gens qui visitent les musées, lisent des ouvrages consacrés à la mythologie, que, dans l’antiquité, ces personnages étaient pris au sérieux, en véritables interlocuteurs qui pesaient sur la vie des gens, qui faisaient partie de leur univers, en tant que puissances avec lesquelles ils entraient en communication. Les traditions narratives sur les dieux font partie de ce contexte religieux ». Jung adhérerait complètement à ces lignes.

On retrouve même un peu plus loin dans le même article une compréhension de la religion qui reprend les termes de Cicéron avec lesquels Jung s’était trouvé en accord :

« Quand on travaille sur les religions de l’antiquité, il faut lever une ambiguïté : le terme religio ne désignait pas pour les Romains ce que religion veut dire pour nous aujourd’hui. Le sens religio en contexte romain correspond à l’attitude scrupuleuse qu’il convient d’adopter à l’égard du monde supra-humain – mais aussi des membres de sa famille – et toutes les pratiques que cela induit. Ce sont les Pères de l’Église, qui s’exprimaient en latin, qui se le sont approprié. Mais ils en ont infléchi le sens. La religio est devenue, sous leur plume, la relation privilégiée entre un fidèle et son Dieu, relation fondée sur une révélation qui est considérée comme vraie puisque c’est Dieu qui l’a produite. On voit bien le décalage considérable opéré entre les deux usages du même terme»

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les anciens « admettaient que les dieux s’intéressaient à la vie des humains. Mais, au delà de cela, ils ne se situaient pas dans le cadre d’un rapport à une vérité qu’il aurait fallu faire triompher, notamment par rapport à d’autres discours religieux. La religion n’était pas une identité séparée qu’il aurait fallu défendre. On peut donc dire de cette religion qu’elle est le lieu d’une expérimentation permanente. Les communautés anciennes établissaient des relations avec leurs dieux par une sorte de jeu d’essais et d’erreurs. Le polythéisme, avec sa multitude d’interlocuteurs potentiels, forçait à l’expérimentation. Quand cela ne marchait pas, c’est que l’individu s’était trompé d’interlocuteur, c’est qu’il n’avait pas sollicité le dieu qui convenait à sa démarche»

Article Le polythéisme peut être une source d’inspiration. Réforme n°3780, 6 décembre 2018, p.4. L’auteure est historienne des religions, docteur ès lettres et professeur au Collège de France.

On retrouve même un peu plus loin dans le même article une compréhension de la religion qui reprend les termes de Cicéron avec lesquels Jung s’était trouvé en accord :

Nous avons effectivement perdu ces traditions culturelles. Mais le chemin intérieur proposé par Jung permet d’insérer l’expérience individuelle de façon juste et utile dans la société.

Pour l’historienne, « ce sont moins les dieux singuliers du polythéisme grec qui peuvent nous inspirer que le système auquel ils appartenaient. Ce qui me semble une ressource pour notre époque, lorsque j’analyse les traditions que les Anciens ont élaborées sur leurs dieux, c’est ce langage du polythéisme qui permet d’appréhender la complexité du monde et produit un discours d’une grande souplesse […] Lequel ? Il ne passe ni par une révélation, ni par des dogmes, c’est vrai, donc on voit bien que le polythéisme grec propose un autre regard sur le monde que celui qui est offert par le christianisme. C’est sa plasticité qui fait la richesse du polythéisme. Cette capacité à lire le monde en estimant qu’on peut avoir un regard pluriel et qu’une réponse ne sera jamais unique me semble intéressante» (Ibidem)

Et elle prend l’exemple de Plutarque. « Dans ses traités intitulés Questions grecques, Questions romaines, la réponse à la question posée était à chaque fois une accumulation de propositions différentes sous forme de nouvelles questions entre lesquelles il ne tranchait pas. Une telle démarche est typique de cette culture plurielle dans laquelle s’inscrit le polythéisme. » (Ibidem)

plutarque

Il vaut la peine de se reporter à l’ensemble de l’article, qui s’inscrit dans une ligne de pensée assez parallèle avec celle de Jung. Rien d’étonnant, car les sources leur sont communes : la mythologie de l’antiquité.

On peut se laisser porter par les multiples ouvertures données par cet article. Notre société est plurielle, comme celle de l’Antiquité, elle doit s’ouvrir à des sensibilités religieuses très diverses et à une « plasticité » des modes d’expression. La démarche jungienne, en remontant au-delà de nos racines chrétiennes, s’ouvre à un fonds commun à toute l’humanité. Elle retrouve une relation avec des énergies vitales, tout en nous donnant les moyens de nous en nourrir et de les adapter à notre réalité individuelle. Jung disait :

 

« Les archétypes ne s’éveillent à la vie que lorsqu’on s’efforce patiemment de parvenir à la compréhension de leur sens et de leur mode d’action dans l’individu». 

Marie Louise von Franz, Jung, son mythe en notre temps, p 150

Pour Jung, les dieux de l’antiquité sont donc toujours vivants, comme des mises en forme de l’énergie :

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« L’archétype renferme naturellement en lui-même tout ce qui est énergétique. Il est qualitatif et quantitatif. Il est tout simplement l’ultime « facteur » (=faiseur) perceptible qui décide de l’impulsion et de la forme dans la nature organique et inorganique».

Sabi Tauber, Mon analyse avec Jung, p 189

Dans la démarche jungienne, le monothéisme n’apparaît plus comme un rejet des anciens dieux, mais comme l’aboutissement d’une intégration des énergies, et la conquête progressive d’une unité par la relation avec le Soi. Il n’est plus un dogme, mais un chemin vers notre vérité intérieure.

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