Les neurosciences
Le cerveau
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Les recherches sur le cerveau progressent à vive allure avec l’imagerie. Cet organe à 86 milliards de neurones fascine. Suite à l’époque psychanalytique, nous sommes entrés dans l’ère de la neuroscience. Les images cérébrales révèlent la présence et la sécrétion de produits chimiques naturels comme les protéines, la dopamine, la sérotonine, les amphétamines. Ceux-ci permettent de localiser les centres d’activité qui pourraient ralentir ou activer certaines réponses. Ainsi, la découverte de la localisation de parties du cerveau et de circuits sollicités apporte un nouveau regard sur la faim : l’appétit, le plaisir, le contrôle, la douleur, l’émotion, l’addiction et même les voix dans la tête. Mais il faudra du temps pour comprendre les interactions des neurones et leur influence sur la conscience, le subconscient et les comportements altérés par la maladie.
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Les recherches montrent que le cerveau a la capacité de s’adapter, face aux dangers et aux traumatismes : c’est la neuroplasticité. Alors que le cerveau change avec le reste du corps pendant les TCA, il est capable de créer de nouveaux « chemins » : il est constamment en train de se reconfigurer.
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L’Institut Psychiatrique de l’état de New York a conduit des études récentes sur les régions du cerveau en relation avec la prise de décisions (choix de nourriture et comportements) de l’anorexique. Il subit des altérations qui poussent le malade à choisir certaines nourritures plutôt que d’autres. Ceci expliquerait en partie les rechutes.
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Un psychiatre américain, pourtant favorable aux neurosciences, regrette le montant important de l’investissement dans les neurosciences et les médicaments aujourd’hui, au détriment des recherches sur les psychothérapies en essais cliniques. Il explique qu’une majorité d’Américains préfère la thérapie à la prise de médicaments, alors que les essais cliniques en psychothérapie ne représentent que 5,4 % du budget de recherche NIMH (National Institute of Mental Heath). Nous sommes beaucoup plus qu’un cerveau sous un microscope : demandez à quelqu’un qui a profité d’une psychothérapie.
Stimulation du cerveau
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Technique en voie de développement, déjà préconisée par certains praticiens pour la sortie d’un TCA, la stimulation du cerveau permettrait l’ouverture de nouveaux réseaux qui faciliteraient des changements de comportements. Une étude publiée en Angleterre par The Lancet rapporte : Environ 20 % des anorexiques ne tirent aucun bénéfice des solutions thérapeutiques classiques. Et dans les cas les plus graves, il y а un risque réel, dе développer des maladies chroniques, voire même, dе mort prématurée (N. Lipsman, DB. Woodside, et al., Subcallosal cingulate deep brain stimulation for treatment-refractory anorexia nervosa: a phase 1 pilot trial, The Lancet, 2013; 381:1361-1370. Étude pilote sur 6 patientes.). La stimulation du cerveau pourrait-elle être un traitement à considérer dans des situations extrêmes ? On distingue :
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La stimulation Magnétique Transcranienne (SMT-TMS en anglais) : avec cette technique indolore et non invasive, on envoie une série d’impulsions magnétiques sur le cuir chevelu pendant un temps donné afin de modifier durablement l’activité de la région visée.
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La stimulation Cérébrale Profonde (SCP) : on place des électrodes dans le cerveau. Un essai clinique a été conduit au Canada auprès de six femmes âgées de 20 à 60 ans souffrant d’аnorеxiе mеntаlе sévère depuis plusieurs années (4 à 37) et ayant toutes été hospitalisées à plusieurs reprises. Via des électrodes placées dans une zone présentant des dysfonctionnements chez les anorexiques, des impulsions électriques à hаutе fréquence sont envoyées dans le cerveau 24 h/24 h. L’étude montre qu’après neuf mois, lа moitié des patientes аvаit repris du poids, et réussi à maintenir cе gain pondéral (Des électrodes dans le cerveau pour traiter l’anorexie sévère. Médecine et Santé, 23 Mai 2014). Cette technique pourrait être efficace pour les cas les plus sévères d’аnorеxiе.
Traitements médicamenteux et Pharmacothérapie
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Il n’y pas de médicament pour les TCA, mais pour les symptômes connexes. Néanmoins, si la malade est déprimée ou angoissée, il semblerait que l’usage de médicaments soit justifié. Même dans ces cas, les parents se demandent si ces médicaments produiront les effets escomptés et avec quels effets secondaires. Les effets attendus seront-ils plus difficiles à supporter que la maladie elle-même ? À la majorité, on ne dit plus rien aux parents, et ceux-ci ne peuvent plus l’encadrer dans ses prises médicamenteuses. Dans les familles interrogées, certains malades ont été médicamentés à l’insu des parents.
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Une mère (Ne fait pas partie des témoins dans le livre), une amie américaine, s’exprime aux obsèques de sa fille de 26 ans : les services médicaux étaient incapables de l’aider dans sa dépression et son TCA. Je pense que certains médicaments lui ont fait davantage de mal que de bien. Elle a pris un anxiolytique dit « de courte durée » pendant 4 ans. Quand elle l’a enfin arrêté, elle ne l’a pas fait progressivement, et le résultat a été trop brutal. Je vois un grand besoin de recherches sur le fonctionnement du cerveau : arriver à trouver et à traiter les racines du mal. Je prie pour une révision des lois sur le secret médical : alors qu’elle vivait chez nous, nous ne savions rien sur son traitement. De surcroit, les médecins n’étaient pas d’accord sur les traitements ni sur les effets des médicaments prescrits. Il y a des protocoles qui n’ont pas été suivis. Je rêve d’un système où les médecins travailleraient ensemble et avec les parents d’enfants adultes…
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Une infirmière en service hospitalier spécialisé : Il est arrivé que des parents (de jeunes enfants) ne soient pas d’accord pour un traitement médicamenteux : nous essayons de respecter leurs souhaits, puisque les médicaments ne sont pas impératifs pour sauver la vie. En fait c’est la nourriture qui est le « médicament » indispensable.
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Un point technique : la plupart des médicaments sont créés pour les adultes et non pour enfants. Une fois qu’un laboratoire pharmaceutique a reçu la permission de mettre un produit sur le marché, ce produit peut devenir largement prescrit, ce qui devrait nous inquiéter. Dr. Julie O’Toole : Notre clinique — majoritairement traitement de jour — a des règles strictes : commencer avec la plus petite dose ; tous les médicaments sont appliqués par les parents, directement dans la bouche de leur enfant, quel que soit l’âge (Kartini Clinic, Dr J. O’Toole, blog du 14 septembre 2014).
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Soucis des parents : Livrés à eux-mêmes, nos enfants continuent-ils régulièrement leur prise de médicaments ? Une spécialiste répond : Si les médicaments sont nécessaires, nous sélectionnons la patiente qui peut gérer ses propres prises. Si nous estimons qu’elle n’en est pas capable, elle démarrera son projet de traitement intramuros (Dr. S. Criquillion-Doublet, psychiatre, Centre hospitalier Saint Anne, Paris, Entretien avec l’auteure 28 juin 2013).
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Les grands laboratoires pharmaceutiques devraient engager des recherches plus poussées sur le rapport entre les anxiolytiques et le développement des tendances suicidaires chez les patients. L’addiction aux traitements médicamenteux pour la dépression et l’anxiété est une grande cause d’inquiétude pour les familles et les patients.
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Des études psycho neuroendocrinologiques montrent les bénéfices de l’ocytocine. Nous savons que nos patients avec anorexie ont un niveau d’ocytocine anormal ; que le déficit de fonctionnement social est lié à la fonction de l’ocytocine ; que des anorexiques traités avec l’ocytocine pendant 4 semaines (Sydney, Australie) ont moins de préoccupations sur leur poids et leurs formes. Enfin, nous savons que le cerveau d’une anorexique est réduit et dénutri ; l’ocytocine augmente la plasticité et réduit le stress. L’utilisation de l’ocytocine comme traitement possible de l’anorexie nous permet aussi de cibler des problèmes sous-jacents que nous observons (J. Treasure, PhD, Medscape Medical News, March 18, 2014)
L’intestin
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L’intestin peut être décrit comme le 2e centre de communication du corps, appelé le système nerveux entérique. Ceux qui souffrent de TCA peuvent ressentir une réponse d’anxiété à l’appétit dans leur ventre par les effets d’une molécule fabriquée en grande partie dans l’intestin. Alors que l’existence de cette molécule était connue (une peptide 5 ou Ins15), les scientifiques viennent d’établir qu’elle joue un rôle pour communiquer la sensation de satiété ( B. Smith. Melbourne Florey Institute of Neuroscience and Mental Health and Cambridge University Sydney Morning Herald, July 15, 2015). Une découverte tout aussi récente que surprenante montre que des messages importants voyagent de l’intestin vers le cerveau, et pas dans l’autre sens (Hadhazy, Think Twice: How the Gut’s second brain influences mood and well-being, Scientific American, 12 Fev. 2010).
Génétique et épigénétique
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Des tests génétiques commencent à fournir des indications précieuses sur les données réunies autour de constantes en ADN et les effets des molécules sur l’organisme. Avec le développement et la mise à disposition de ces techniques au plus grand nombre, il deviendra possible d’individualiser les traitements. Une collecte de sang de 17 000 anorexiques a démarré en Mai 2013, avec pour objectif de déterminer si une corrélation existe entre ces maladies et un gène particulier (The Queensland Medical Institute of Medical Research, The Anorexia Nervosa Genetics Initiative (ANGI) or Charlotte’s Helix). Les premiers résultats de ces recherches internationales, avec plus de 200 auteurs publiés en Juillet 2019, impliquent la relation entre 8 gènes et les origines d’anorexie. Ceux-ci confirmeraient que l’anorexie pourrait être une maladie avec des parties biologiques, une maladie métabo-psychiatrique, plutôt qu’une maladie simplement psychiatrique(Genome-wide association study identifies eight risk loci and implicates metabo-psychiatric origins for anorexia nervosa, nature genetics, 15 july 2019, Cynthia Bulik, Julie O’Toole et al.).
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Si la génétique concerne l’étude des gènes, l’épigénétique s’intéresse à une strate d’informations complémentaires qui définit comment les gènes vont être utilisés par une cellule. Contrairement aux mutations génétiques qui affectent la séquence de l’ADN, les modifications épigénétiques sont réversibles.